Le mois dernier, je mentionnais dans un post quelque chose qui s’était passé avec un des entraineurs de ma salle de sport. Il avait tenu un discours tellement aberrant pour moi que j’en avais perdu le sommeil. Il n’y avait pas eu que cet incident, mais il y avait largement contribué car je devais, entre autres, me poser la question de savoir si j’allais continuer à aller à la gym ou non.
Je ne suis jamais retournée au cours de CrossFit quand c’était lui qui faisait cours. Et malheureusement pour moi, il fait cours les jours qui me conviendraient le mieux. Alors, comme l’abonnement à cette salle de sport est super cher et que j’ai décidé que je ne pouvais pas faire abstraction de cet incident et ne souhaitais en aucun cas me retrouver en présence de cet homme, j’ai pris la décision de le résilier.
J’ai rempli le formulaire en ligne pour donner mon préavis de 30 jours, et je me suis dit que j’irais aux cours du coach que j’aime bien pour ce dernier mois, même si ce n’est pas très pratique et que je ne peux pas y aller très souvent. Le formulaire demandait d’évaluer la gym et de laisser un commentaire. J’ai écrit simplement que je n’étais plus à l’aise avec tous les entraineurs et que comme je ne pouvais plus venir autant que je le souhaiterais, cela n’avait pas de sens que je continue à payer pour cet abonnement. J’ai aussi suggéré que, considérant qu’ils travaillaient avec toutes sortes de personnes, de cultures variées et chacune avec sa propre histoire, les entraineurs pourraient suivre une formation qui les sensibiliseraient à certains sujets.
J’ai reçu une réponse du propriétaire de la gym s’excusant de la situation. Il pensait que c’était lui qui m’avait poussée à prendre cette décision, et comme j’avais assisté à un de ses cours pour la première fois quelques jours auparavant, je peux voir comment il a fait ce rapprochement, bien qu’il n’ait absolument rien dit ou fait qui aurait pu m’offenser. Il a même résilié mon abonnement sur-le-champ, pensant que c’était ce que je voulais.
Je lui ai donc répondu que cela n’avait rien à voir avec lui mais qu’il y avait certains sujets sur lesquels je n’avais aucune envie de faire des compromis et qu’il y avait des gens que je refusais de fréquenter une fois que je connaissais leur vision du monde.
Il a décidé de poursuivre la conversation et m’a affirmé qu’il comprenait et respectait ma décision, mais qu’il se demandait toutefois si cela pouvait être un malentendu qui pouvait être résolu. Il a ajouté qu’il était persuadé que le coach serait ouvert d’esprit et prêt à entendre mon point de vue.
Ce à quoi j’ai répondu par un long email dans lequel j’ai expliqué que pour moi, il n’y avait aucun malentendu et que non, cela ne pourrait pas se régler comme ça. J’ai entendu ce que j’ai entendu et je ne peux pas le “désentendre” (je ne crois pas que ce soit un mot, mais si le français avait la flexibilité de l’anglais, c’en serait un). Je lui ai expliqué que je refusais de m’imposer d’être en présence de qui que ce soit qui perpétuait la culture du viol, en l’occurrence en défendant un violeur avéré en disant qu’il n’était pas le genre d’homme à faire ça. Que d’être riche et célèbre ne voulait pas dire qu’on était un homme bien. Que n’importe quel criminel était un mec super aux yeux de certains. Et que quand je disais à mon coach que j’avais un problème avec le fait qu’on fasse d’un violeur un héros et que ce coach me répondait que les femmes accusent les hommes célèbres de viols pour l’argent et que le violeur qui a reconnu les faits n’était pas le genre d’homme à faire ça, cela me causait un vrai problème. Je lui ai dit que c’était débile, dangereux, et que ça me dégoutait. Et que pour moi, il n’y avait pas de marche arrière possible.
Puis j’ai continué mon email en lui disant qu’en tant que coach, ce mec devrait faire attention aux idées qu’il défend. J’ai ajouté plusieurs autres points et j’ai même partagé un article de Roxane Gay sur ce sujet que j’ai lu et relu et qui m’a fait un bien fou. (J’adore Roxane Gay)
Puis je lui ai dit que maintenant, il savait exactement pourquoi je ne voulais plus venir à la gym et qu’il pouvait faire ce qu’il voulait de cette information.
Il m’a remerciée d’avoir partagé cette histoire et mon point de vue avec lui et m’a dit qu’il allait prendre un peu de temps pour digérer toutes ces informations, qu’il allait enquêter de son côté et revenir vers moi.
Le soir, mon dernier cours de français ne finissait pas trop tard alors je suis allée au CrossFit car c’était mon coach préféré qui faisait cours.
Le patron de la salle de sport m’attendait à la fin du cours et m’a demandé s’il pouvait marcher un peu avec moi. J’ai accepté et il m’a dit qu’il avait parlé avec le coach, qu’il le connaissait depuis un moment et qu’il ne pensait vraiment pas qu’il soit sexiste. Je lui ai dit que je me contrefichait de son opinion et que sa parole d’homme n’avait aucune valeur à mes yeux si c’était pour contredire la mienne à ce sujet. J’ai fait le parallèle avec le racisme pour qu’il comprenne mieux, en lui disant que s’il me disait qu’un type blanc était un gros raciste et que je lui disais “non, tu dis n’importe quoi, je le connais bien, il est pas raciste du tout”, ma parole et mon opinion à ce sujet n’auraient, pour les mêmes raisons évidentes, aucune valeur. On a continué à discuter et comme on était presque chez moi, je lui ai proposé de venir boire un coup. On s’est arrêtés au magasin du coin de la rue, on a acheté de quoi boire un coup et on est allés chez moi. Mon mari, qui est à la fois non blanc et féministe, était là et nous avons discuté tous les trois pendant trois heures. Ce fut une discussion très intéressante et très sympa.
Le lendemain, j’ai reçu un texto de ma copine du CrossFit, qui était là le jour où le coach a fait ce commentaire dégueulasse, me disant que les entraineurs avaient demandé à lui parler après le cours pour lui demander son ressenti par rapport à tout ça. Elle m’a soutenue à 100%, parce qu’elle est complètement d’accord avec moi, même si elle a fait le choix de continuer d’aller à ses cours, et leur a dit que ce qu’il avait dit était complètement idiot et irrespectueux des femmes et que les accusations des femmes étaient trop souvent ignorées et rejetées sous prétexte que le mec était riche et/ou célèbre. Apparemment, l’entraineur en aurait parlé avec sa compagne qui lui aurait dit que c’était un sujet très sensible. Ma copine m’a raconté qu’il s’était excusé, mais son impression à elle, c’est qu’il ne se rend pas vraiment compte de la gravité de ce qu’il a dit. Mais au moins, maintenant, il sait !
Alors je lui ai dit, super, on change le monde un homme à la fois… À ce rythme là, la planète a le temps d’exploser avant qu’on ne voie quelque changement que ce soit !
Mais cette semaine, j’ai reçu un email du propriétaire de la salle de sport me disant qu’il avait apprécié notre discussion et que je pouvais continuer à aller en cours pour le dernier mois, gratuitement. Puis il m’a assuré qu’il prendrait des mesures pour que son personnel soit mieux formé pour mieux servir les clients. Et il a conclu en disant qu’il espérait qu’avec le temps, je laisserais une chance à cet homme de s’excuser en personne et que s’il savait alors ce qu’il sait maintenant, il n’aurait pas tenu le même discours et qu’il souhaiterait me parler autour d’un café.
Je ne vois pas ma victoire dans le fait que je peux aller pratiquer le CrossFit gratuitement ce mois-ci si ça me chante, mais dans le fait que peut-être, un homme qui tenait ce genre de propos abjects encore récemment, va réfléchir à son comportement, à ses paroles, et prendre conscience de la réalité dans laquelle vivent les femmes. Peut-être qu’il va être plus attentif et plus sensible à notre cause. Peut-être qu’il va décider de s’instruire sur le sujet et qui sait, faire passer le mot parmi ses potes sexistes. Mais il est aussi possible qu’il ne change pas et qu’il fasse semblant d’être désolé parce que cela s’est passé sur son lieu de travail et que son patron s’en est mêlé.
Je n’ai aucune envie d’aller boire un café avec lui. Déjà parce que je ne bois pas de café, et ensuite parce que c’est trop frais et que je ne pense pas qu’il ait eu le temps de réfléchir à tout ceci en profondeur. Je ne dis pas jamais, mais pas pour l’instant. Si je le recroise dans un autre contexte à l’avenir et qu’il choisit de venir me parler et que je le sens sincère et plus informé sur le sujet, alors pourquoi pas. Mais pas maintenant.
Quant à aller en cours ce mois-ci, je ne sais pas. J’adore le CrossFit, mais j’avais l’intention de payer pour le dernier mois, et accepter d’y aller gratuitement me donnerait un peu l’impression qu’on achète mon silence, en quelque sorte. Qu’on me fait un cadeau pour que je passe l’éponge sur cet incident, pour que je l’oublie. Mais je ne veux pas l’oublier et je ne vais pas l’oublier. Ce n’est pas un problème personnel, même s’il m’affecte personnellement. C’est le problème de toutes les femmes qui ont été abusées, de toutes les femmes qui ont raconté leur histoire et qui n’ont pas été crues, de toutes les femmes qui doivent se plier au système patriarcal et s’écraser constamment parce que la société exige qu’elles restent à “leur” place, de toutes les femmes qui se retrouvent sans voix quand quelqu’un leur dit que c’est la faute des filles/femmes si elles se font violer, etc. Si je retournais au CrossFit maintenant, juste parce que je n’ai pas besoin de payer, j’aurais l’impression de trahir ce en quoi je crois.
Du coup, j’ai repris la Zumba.