Livre : Nord perdu

Extrait :

Certains monolingues croient ingénument que, pour passer d’une langue à l’autre, il suffit de disposer d’excellents manuels et dictionnaires. Que nenni ! Ces outils sont même à peu près inutiles pour la communication courante. La prochaine fois que vous prenez les transports en commun, imaginez qu’un étranger se trouve à vos côtés et qu’il vous incombe de lui traduire, mot à mot, tout ce que vous entendrez au cours du trajet. C’est une tâche pour ainsi dire impossible. Ecoutez bien les gens. Que marmonnent-ils dans leur barbe ? “Putain il fait beau !”, “Eh ben dis donc !”, “M’en fous”, “Pis quoi encore ?”, “Ras-le-bol à la fin”, “Bon ça y est, je me casse”, “N’importe quoi !”… C’est lorsque ces mille syntagmes opaques deviennent enfin transparents que l’on commence à connaître réellement une langue.

Et encore : on ne la connaîtra jamais comme les natifs la connaissent. Il m’arrive encore, non pas chaque jour mais plus souvent que je n’aime à me l’admettre, de tomber sur un mot en français que je jurerais n’avoir jamais vu… alors que mes enfants, eux, le connaissent parfaitement. Comment cela est-il possible ? La mémoire des enfants est une éponge (le savoir y pénètre et s’y accumule), celle des adultes, une passoire (le savoir la traverse) !

D’autre part, ce n’est pas parce qu’on a appris un mot qu’on est capable de s’en servir…

Dîner avec des amis monolingues l’autre soir, A. et S. : très étonnés de m’entendre dire qu’il existe dans la langue française des mots, des façons de parler dont je suis, moi étrangère, incapable de me servir dans une conversation. “Quoi par exemple ?

– Eh bien… le passé simple.

Oh, ça ne compte pas, il n’y a que les académiciens qui se servent du passé simple en parlant ! C’est grotesque. Quoi d’autre ?

– Eh bien…, par exemple… : Ça me gonfle. Ça je ne peux pas le dire. Ou certains termes d’argot : des anglicismes comme news, challenge, look ; des abréviations comme perso.

– Oh ça ne compte pas, ce n’est pas une question de langue mais de génération, de milieu…

– Alors le cas échéant, surtout avec la liaison : lecazéchéant. Ça, je ne peux pas le dire.

– Oh, ça ne compte pas, c’est une question de niveau de langue, c’est une expression légaliste…”

Et ainsi de suite. Ils ne me croyaient pas ! Il ne comprenaient pas !… Alors que, bien sûr, eux aussi. Et vous aussi. Tous, nous incluons certains mots et tournures dans notre vocabulaire actif et en excluons d’autres. Seulement, l’exilé linguistique le fait après mûre, ardue, obsessionnelle pour ne pas dire paranoïaque réflexion.

Nord Perdu, Nancy Huston, 1999

Nancy Huston est canadienne anglophone. Elle écrit en français et en anglais et traduit ses propres livres. Cela faisait une éternité que je voulais lire ce petit livre qu’est Nord perdu et j’ai enfin pris le temps de le faire un soir cette semaine. Il ne contient qu’une centaine de pages, je l’ai donc lu d’une traite, tout en prenant quelques notes. L’autrice y parle de son expérience d’exilée, de son expérience de bilingue, de sa quête d’identité, 25 ans après s’être installée en France, et tellement de ses réflexions ont résonné en moi.

Ce livre devrait parler à toute personne ayant appris une autre langue que sa langue maternelle et/ou s’étant exilée dans un pays où elle doit vivre dans une autre langue que la sienne.

L’oreille musicale des enfants bilingues – analyse

Je vous propose d’analyser la suite du texte d’hier, sur le bilinguisme. Je vous ai donné la première partie pour faire un petit exercice sur les prépositions et aujourd’hui, faisons un travail de lecture active sur la deuxième partie. L’article complet est ici.

En rose, des verbes, en bleu, des connecteurs, en jaune des participes passés utilisés seuls, en gris un pronom, souligné, du vocabulaire à observer.

  • le bilinguisme : prononcer [bilɛ̃gɥism] – que l’on peut opposer au monolinguisme (voir monolingue plus loin dans le texte), aussi appelé unilinguisme. Quand on parle trois langues, on peut parler de trilinguisme. Au-delà, on parlera de polyglottisme et on dira qu’on est polyglotte.
  • ne sont pas restreints au : du verbe restreindre, passif – remarquer la préposition à : être restreint à qqch
  • en effet : connecteur utilisé pour confirmer ce qui a été dit auparavant
  • un bilingue : adjectif utilisé comme nom – le nom est sous-entendu = une personne bilingue.
  • s’exprimer : synonyme de parler, verbe pronominal
  • jongler : utilisé au sens figuré, synonyme d’alterner, d’utiliser avec une grande facilité
  • constamment : bon adverbe à employer, au lieu de tout le temps
  • associées au : du verbe associer – observer la construction : qqch est associé à qqch
  • notamment : préférez employer cet adverbe plutôt que spécialement ou *espécialement (qui n’est pas un mot français)
  • en termes de : avez-vous tendance à surutiliser par rapport à ? En termes de est une bonne alternative quand vous parlez d’un domaine particulier
  • outre : observez que ce n’est pas en outre, mais outre seulement. Saviez-vous que c’était possible ? La préposition outre + nom = en plus de
  • accrue : du verbe accroitre = augmenter / intensifier
  • par rapport au… et à… : remarquez la répétition de la préposition
  • doués : être doué pour qqch = avoir des facilités, des aptitudes
  • détecter : construction directe, détecter qqch
  • adopter : construction directe, adopter qqch
  • ajuster : construction directe, ajuster qqch
  • faire preuve de : montrer, démontrer – quels mots sont couramment associés à cette locution verbale ?
  • plasticité cérébrale : veulent-ils dire que le cerveau est en plastique ? Bien sûr que non ! Le cerveau est malléable, souple, il s’adapte facilement
  • à l’écoute de : attentif à – remarquez les prépositions utilisées
  • distinguer : construction directe, distinguer qqch
  • apprendre de : construction indirecte, apprendre qqch de qqch
  • se montrer sensibles aux : construction indirecte, se montrer sensible à qqch
  • facilités : aptitudes
  • en matière de : concernant
  • ne… que… : expression de la restriction
  • ont constaté : synonyme de remarquer
  • dès : préposition dès + nom = à partir de
  • identique à : au lieu de toujours dire même
  • celui : pronom masculin qui reprend qqch nommé auparavant
  • qu’il s’agisse de : observez attentivement la structure de cette longue phrase qui commence avec un subjonctif
  • reprendre : que peut-on reprendre d’autre ? Le travail après des vacances, une période de chômage ou un congé maternité. Ses études après une pause. La route, après un arrêt sur l’autoroute pour déjeuner. Etc.
  • avez déjà parlée : observez l’accord du participe passé. Y auriez-vous pensé ? Si votre réponse est non, il faut réviser les règles d’accord du participe passé !

Bilinguisme : atout ou handicap ?

Je viens de lire plusieurs articles sur le bilinguisme et le plurilinguisme et je dois dire que je suis un peu choquée par l’attitude de certaines personnes vis-à-vis du bilinguisme. Apparemment, il y a des gens opposés au bilinguisme ! Je ne savais même pas que c’était possible, tellement ça me paraît ridicule. J’ai été d’autant plus choquée que ces personnes sont canadiennes (dans l’article que j’ai lu en tout cas) et que j’ai généralement une très bonne opinion des Canadiens. Mais je ne parlerai pas de cet article aujourd’hui. Je parlerai d’un autre, paru dans l’Express cette semaine : un article sur le bilinguisme, les immigrés et les préjugés.

En France, tous les bilinguismes ne se valent pas. Certaines langues sont plus acceptables que d’autres et les enfants d’immigrés sont stigmatisés comme étant enclins à échouer à l’école. Et bien sûr, leur échec est expliqué par le fait qu’il ne parlent pas français à la maison. Personne n’a l’air de trop parler du fait que des classes sérieuses de mise à niveau et de soutien en français pourraient être un remède efficace contre l’échec scolaire de ces enfants, venant majoritairement de milieux modestes et dont les parents ne sont pas équipés pour les aider.

Je n’ai pas fait de recherches poussées sans ce domaine, mais mon expérience au contact d’enfants bilingues et plurilingues m’a depuis longtemps convaincue que parler plusieurs langues dès le plus jeune âge est un avantage certain et que les enfants bilingues ont tendance à penser plus vite et à mieux utiliser leur cerveau que les autres. J’ai aussi lu pas mal sur le sujet et il y a plein d’experts qui sont d’accord avec moi. Cet article va également dans ce sens. 

Vocabulaire tiré de l’article : 

  • un atout = un avantage
  • être en échec scolaire = avoir de mauvais résultats à l’école
  • un nourrisson = un bébé
  • redoubler = refaire la même année à l’école
  • néfaste = nuisible
  • la lecture = l’action de lire
  • d’emblée = tout de suite, aussitôt
  • une recherche pointue = une recherche très poussée
  • voire = et même
  • y compris = inclus
  • c’est là que le bât blesse = c’est là le problème
  • déprécier = dénigrer, rabaisser
  • déboucher sur = aboutir à
  • un bambin (fam.) = un enfant
  • inciter qqn à faire qqch = encourager qqn à faire qqch
  • le CP : cours préparatoire (première année d’école primaire)
  • le collège : 4 premières années d’école secondaire
  • un hussard = un soldat de la cavalerie légère
  • un hussard noir = surnom donné aux instituteurs sous la IIIe République après 1905
  • balbutiante = (dans le texte) n’en était qu’à ses débuts

On pourrait aussi relever les connecteurs logiques. Cet article en est truffé : pourtant, mais, et pourtant, alors que, c’est ce que, de fait, tandis que, en réalité, comme, d’autant que, en revanche, n’est pas… mais, dès, non seulement… mais aussi, plus… encore, parce que, donc, y compris, toutefois, or, si, au contraire, et, résultat ?, et, pour, aussi, en revanche, et, comme.