Livre : Le Triangle et l’Hexagone

Je parlais de Maboula Soumahoro dans un post le mois dernier. (Pourquoi donc ai-je utilisé l’imparfait, alors qu’on a “le mois dernier”, se demandent probablement mes étudiantes qui me lisent. On en parlera en cours si ce n’est pas clair !)

J’ai donc lu son livre sorti en février de cette année et je n’ai pas été déçue. C’est une universitaire, mais son style d’écriture est très fluide et agréable à lire. De plus, elle transgresse la règle qui veut que les écrits académiques n’utilisent jamais le pronom personnel “je”. Ce qui en fait un écrit beaucoup plus personnel, même si son expérience de femme noire en France n’est pas unique.

En voici un court extrait, tiré du premier chapitre :

Ma vision de la société française hexagonale contemporaine est la suivante : à la fois post- et néocoloniale, la République fonctionne sur un ensemble de hiérarchies qui s’entremêlent au niveau de la classe sociale, de la catégorisation raciale et du genre. En son sein sont à l’œuvre de nombreux processus de racialisation qui ont un effet sur l’ensemble de la société. Qu’ils touchent de manière visible ou invisible, favorablement ou défavorablement, ces processus concernent tous les groupes en présence, même si, parmi ceux-ci, celui qui domine possède le privilège de l’invisibilité et de la normativité. J’ajoute également que depuis plusieurs siècles les êtres humains que nous sommes avons tous été forcés de manière organisée à habituer le regard que nous portons sur nous-mêmes et sur les autres à reconnaitre la race et le phénotype. Sans aucune valeur biologique, ces catégorisations sont toutefois d’une puissance extrêmement importante. Elles opèrent de manière concrète au niveau social, politique et économique. Les individus, populations et communautés dites “de couleur” existent. Nier l’existence et les injustices vécues par ces derniers fait partie du problème français actuel.

Vous vous dites que cela va de soi ? Pas en France ! J’ai déjà parlé à plusieurs reprises du racisme en France et sans avoir ses connaissances et avoir fait les recherches que Maboula Soumahoro a faites, je ne doute pas un instant que c’est la vérité. Dans son livre, elle explore le sujet plus en profondeur, elle parle de son expérience personnelle, et je reste super fan !

Elle m’a aussi donné envie de lire d’autres auteurs qu’elle évoque.

Maboula Soumahoro

Je suis fan.

Je l’ai découverte l’an dernier dans le deuxième épisode du podcast Kiffe ta Race, dans lequel elle discutait avec Rokhaya Diallo et Grace Ly du fait que le mot “race” est tabou en France. Et ce qu’elle disait alors m’avait paru tellement évident, tellement sensé, et pourtant, je n’y avais jamais réfléchi comme cela avant.

Elle était également l’une des invitées de Lauren Bastide pour un épisode spécial de La Poudre sur la France et les féminismes plus récemment, au mois de mars, et ce qu’elle avait à dire était comme toujours très instructif.

Je n’ai pas grand-chose à ajouter au débat actuel sur le racisme. J’ai toujours su que le racisme existait. J’ai toujours pensé que la France était un pays extrêmement raciste. J’ai découvert ailleurs qu’il y avait les mêmes problèmes. J’ai vu le racisme aux Etats-Unis, je l’ai vu à Londres, je l’ai trouvé très décomplexé en Espagne, il est présent en Asie du Sud-Est, il est plus qu’évident en Afrique du Sud, etc. Mais c’est à travers mon féminisme que j’ai commencé à m’y intéresser de plus près, à me poser énormément de questions et à examiner mon propre comportement.

Le racisme est systémique, tout comme le sexisme est systémique. Et je suis tellement en colère quand j’entends quelqu’un qui réduit l’expérience des femmes à des anecdotes, des incidents isolés, et qui dit “pas tous les hommes”, “tu exagères”, “mais les femmes ont les mêmes droits que les hommes”, etc. Je n’en peux plus de cette oppression, de ce refus de voir la réalité en face et de tous ces systèmes qui ignorent les violences faites aux femmes.

Et la colère des Noir.e.s et de toutes les personnes victimes de racisme me parait venir de la même place. C’est intolérable de se sentir constamment en danger et réduit.e au silence, dans une société qui refuse de se regarder en face. C’est intolérable de subir des discriminations et des violences dans une société qui nous dit que nous sommes tous égaux en droits mais qui nous traitent différemment si nous sommes femme, noir.e, arabe, asiatique, LGBTI, handicapé.e, gros.se, etc., et encore pire si nous accumulons plusieurs de ces caractéristiques.

De la même façon que je pense que les hommes doivent être activement féministes pour faire avancer la cause des femmes, j’ai compris à travers mes lectures de ces deux, trois dernières années, qu’il était essentiel que les Blancs soient antiracistes et pas seulement non racistes. L’oppression des personnes de couleur devrait tous nous révolter, et se taire, c’est effectivement être complice, comme je l’ai lu maintes fois sur les comptes Instagram d’activistes que je suis.

J’espère que la colère qui s’est emparée des citoyen.ne.s du monde entier cette dernière semaine va continuer. Moi, je n’arrêterai pas d’être en colère tant qu’il y aura des injustices et des discriminations. Je suis née en colère et je mourrai probablement en colère, mais j’espère voir les choses évoluer dans le bon sens et pouvoir participer au changement d’une façon ou d’une autre.

Si vous ne connaissez pas Maboula Soumahoro, voici une courte vidéo d’une interview de la semaine dernière. J’ai acheté son livre Le Triangle et l’Hexagone, et je compte le lire ce mois-ci. J’en parlerai certainement ici.