Lotti Latrous, une femme extraordinaire

Quand je vivais en Suisse, je lisais beaucoup. Je vivais en Suisse italienne, et j’avais un libraire qui me donnait beaucoup de livres qu’il recevait de ses éditeurs. Je ne me souviens pas très bien pourquoi, mais je crois que comme il ne parlait pas anglais, il me demandait toujours si les livres en anglais m’intéressaient. Et en général, ils m’intéressaient et je les acceptais volontiers. J’achetais aussi beaucoup de livres et j’étais une cliente appréciée je pense.

Je ne me souviens pas s’il m’avait donné ce premier livre qui m’avait fait découvrir Lotti Latrous ou si je l’avais acheté. On était en 2005 ou 2006. J’avais été extrêmement émue par l’histoire de cette femme suisse et j’avais lu un deuxième livre qui parlait de ce qu’elle faisait en Côte d’Ivoire. J’avais dû les acheter, car ils étaient en français et mon libraire ne me donnait que des livres en anglais en fait. Je n’ai plus ces livres, je les ai probablement donné, je ne sais plus à qui, et c’est dommage car j’ai essayé de les retrouver, mais on dirait qu’ils n’existent qu’en allemand et que la version française n’est plus éditée. Le premier livre s’intitulait Lotti la Blanche.

Seriez-vous prêt.e à abandonner votre confort et votre vie facile pour aider les plus démuni.e.s, celles et ceux dont tout le monde se moque, à qui personne ne pense et qu’on laisse mourir sans pitié ?

J’aimerais dire que moi, je pourrais. Mais la vérité, c’est que si je le pouvais, je l’aurais déjà fait. Ce n’est pas comme si je ne savais pas qu’il existait des gens dans la misère. J’ai choisi la voie du confort et je ne suis pas toujours fière de moi quand j’y réfléchis. Je pique aussi des colères sur des choses tellement futiles parfois que j’en ai honte. Je m’énerve parce que le livreur m’apporte mes courses commandées en ligne trop tôt ou trop tard. Je m’énerve parce que le voisin du dessus fait un trou dans son mur avec une perceuse et que ça fait du bruit pendant 30 secondes. Je m’énerve parce que les gens marchent trop lentement devant moi et bloquent le trottoir. Bref, je nage dans le privilège et je l’oublie beaucoup trop souvent.

Lotti, elle, a choisi d’utiliser tout ce que la vie lui a offert pour aider les autres. Elle a renoncé à une vie de luxe, elle a fait le choix difficile de ne pas vivre avec son mari et ses enfants pour pouvoir continuer à aider des personnes qui, de son point de vue, avaient plus besoin de son aide qu’eux.

Si vous parlez allemand, je vous recommande vivement de lire les livres écrits sur Lotti Latrous par la journaliste Gabriella Baumann-von Arx.

Sinon, regardez cette interview en français : https://www.rts.ch/play/tv/toute-une-vie/video/toute-une-vie-avec-lotti-latrous?id=9930940

Elle dure 45 minutes et si vous êtes sensible, ayez des mouchoirs à disposition. Si vous ne pouvez pas la voir dans votre pays, je l’ai mise à disposition ici.

Le français n’est pas la langue maternelle de Lotti Latrous, mais elle le parle presque parfaitement. Je rêve d’un monde plein de Lotti. J’aimerais être capable de faire ce qu’elle a fait de sa vie. En attendant de trouver une voie sur laquelle je pourrai m’engager, je puise mon inspiration dans des femmes extraordinaires.

Maboula Soumahoro

Je suis fan.

Je l’ai découverte l’an dernier dans le deuxième épisode du podcast Kiffe ta Race, dans lequel elle discutait avec Rokhaya Diallo et Grace Ly du fait que le mot “race” est tabou en France. Et ce qu’elle disait alors m’avait paru tellement évident, tellement sensé, et pourtant, je n’y avais jamais réfléchi comme cela avant.

Elle était également l’une des invitées de Lauren Bastide pour un épisode spécial de La Poudre sur la France et les féminismes plus récemment, au mois de mars, et ce qu’elle avait à dire était comme toujours très instructif.

Je n’ai pas grand-chose à ajouter au débat actuel sur le racisme. J’ai toujours su que le racisme existait. J’ai toujours pensé que la France était un pays extrêmement raciste. J’ai découvert ailleurs qu’il y avait les mêmes problèmes. J’ai vu le racisme aux Etats-Unis, je l’ai vu à Londres, je l’ai trouvé très décomplexé en Espagne, il est présent en Asie du Sud-Est, il est plus qu’évident en Afrique du Sud, etc. Mais c’est à travers mon féminisme que j’ai commencé à m’y intéresser de plus près, à me poser énormément de questions et à examiner mon propre comportement.

Le racisme est systémique, tout comme le sexisme est systémique. Et je suis tellement en colère quand j’entends quelqu’un qui réduit l’expérience des femmes à des anecdotes, des incidents isolés, et qui dit “pas tous les hommes”, “tu exagères”, “mais les femmes ont les mêmes droits que les hommes”, etc. Je n’en peux plus de cette oppression, de ce refus de voir la réalité en face et de tous ces systèmes qui ignorent les violences faites aux femmes.

Et la colère des Noir.e.s et de toutes les personnes victimes de racisme me parait venir de la même place. C’est intolérable de se sentir constamment en danger et réduit.e au silence, dans une société qui refuse de se regarder en face. C’est intolérable de subir des discriminations et des violences dans une société qui nous dit que nous sommes tous égaux en droits mais qui nous traitent différemment si nous sommes femme, noir.e, arabe, asiatique, LGBTI, handicapé.e, gros.se, etc., et encore pire si nous accumulons plusieurs de ces caractéristiques.

De la même façon que je pense que les hommes doivent être activement féministes pour faire avancer la cause des femmes, j’ai compris à travers mes lectures de ces deux, trois dernières années, qu’il était essentiel que les Blancs soient antiracistes et pas seulement non racistes. L’oppression des personnes de couleur devrait tous nous révolter, et se taire, c’est effectivement être complice, comme je l’ai lu maintes fois sur les comptes Instagram d’activistes que je suis.

J’espère que la colère qui s’est emparée des citoyen.ne.s du monde entier cette dernière semaine va continuer. Moi, je n’arrêterai pas d’être en colère tant qu’il y aura des injustices et des discriminations. Je suis née en colère et je mourrai probablement en colère, mais j’espère voir les choses évoluer dans le bon sens et pouvoir participer au changement d’une façon ou d’une autre.

Si vous ne connaissez pas Maboula Soumahoro, voici une courte vidéo d’une interview de la semaine dernière. J’ai acheté son livre Le Triangle et l’Hexagone, et je compte le lire ce mois-ci. J’en parlerai certainement ici.

Le racisme en France

Le weekend dernier, je mentionnais le podcast Kiffe ta race, et j’expliquais qu’en France, on est vite mal à l’aise quand on aborde le thème des races.

Diriez-vous que le racisme est systémique dans votre pays ? Est-il réservé à l’extrême-droite ?

Le mois dernier, j’ai fait travailler un étudiant avec cette vidéo, que j’avais trouvée très intéressante. Je ne connaissais pas cette autrice mais cela m’a donné très envie de lire son livre. Il n’est malheureusement pas disponible en version numérique. Il faudra que j’aille voir s’ils peuvent me le commander dans une librairie ici, ou que je me le fasse apporter par des amis qui viennent me rendre visite cette année.

Je n’ai évidemment pas la même expérience que Jo Güstin, car je suis blanche et la seule discrimination à laquelle j’ai été confrontée et le suis toujours, c’est le sexisme. Mais je n’ai aucun mal à comprendre ce qu’elle explique car j’ai des yeux et des oreilles et qu’ils fonctionnent très bien. J’ai grandi en France, et depuis que je travaille exclusivement comme prof de français, j’essaie de suivre les actualités françaises et de me tenir au courant de l’évolution de la société française. J’y suis retournée plusieurs fois depuis que j’ai quitté le pays et j’y ai des amis. Je le dis depuis toujours, le racisme est partout en France. Tout comme le sexisme.

Bien sûr, on trouve du racisme partout. J’ai vécu dans plusieurs pays, je l’ai remarqué partout. Mais est-ce une excuse ? Et la façon dont il est exprimé est-elle la même partout ? J’ai encore beaucoup à apprendre sur ce sujet, mais le peu de littérature que j’ai lue et mon expérience personnelle me poussent à croire qu’en France, le racisme est pire que dans beaucoup d’autres pays à majorité blanche. Ou peut-être que je regarde la France avec des yeux plus critiques car j’en viens. Mais comme l’explique le podcast Kiffe ta race, en France on veut nier la différence au nom d’un égalitarisme très français et par conséquent, on ne nomme pas les choses telles qu’elles sont et beaucoup se laissent endormir et choisissent de croire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, tout le monde est l’égal de son voisin en France, il n’y a pas de races, donc pas de racisme, et la vie est belle. Sauf que ce n’est pas du tout la réalité de la France ! Toutefois, ceux qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, ne s’instruisent pas et sont prêts à croire tout et n’importe quoi, tant que ça ne dérange pas leur petit confort, et finissent par laisser des commentaires sur YouTube tels que : “Tout cela est dans ça tête il ý à des gents qui sont mal dans leurs peaux partout dans le monde nous ne sommes pas plus racistes que les autres pays arrêter avec çà celà devien insupportable”. (J’ai laissé les fautes de français, vous pouvez vous amuser à les corriger)

Si le rythme de l’interview est un peu difficile pour vous, voici les questions de la journaliste pour vous aider. Essayez de comprendre les réponses !

  • Comment s’est passée votre intégration en France ?
  • Et tout ça est arrivé quand vous êtes arrivée en France ?
  • Alors, quand on lit votre livre, Sissi, votre personnage principal, elle a pour projet d’écrire un livre qu’elle intitulera « on est en France ici », une lettre d’adieu à la France. « J’irai à la rencontre de plusieurs Françaises non blanches et les interrogerai sur les rapports douloureux ou forcés qu’elles entretiennent avec l’institution France » Par rapport à ce que vous m’avez répondu à la première question que je vous ai posée, vous vous êtes donc inspirée de votre vécu pour écrire ce livre, mais quelle est la part d’autobiographie et de fiction dans ces cas-là ?
  • Vous vous attendiez à être racisée ? Je rappelle qu’une personne racisée est une personne qui subit le racisme systémique. Vous vous attendiez à ça ?
  • Tout ce qui vous a fait mal et tout ce sentiment de mal vivre en France dont vous parlez dans votre livre ?
  • Vous avez choisi, malgré tout ça, de vous faire naturaliser française. Comment réagissez-vous quand vous voyez ce qui s’est passé dimanche dernier, le rassemblement national qui arrive en tête des élections européennes, vous qui avez déjà vécu tout ça, qui avez quand même choisi de vous faire nationaliser française, vous en pensez quoi ?
  • Alors pourquoi finalement, vous avez choisi de vous faire naturaliser française ?
  • Vous avez mis du temps à accepter d’être lue par qqn d’autre que votre maman et que votre cousine. Qu’est-ce que qui a fait que vous avez eu ce déclic, que vous vous êtes dit, bon allez, ça y est maintenant je vais publier mes livres ?
  • Et par rapport à votre côté humoriste, vous parlez également de tous ces thèmes : le sexisme, l’homophobie, l’intégration, le racisme, vous avez l’impression que grâce à l’humour, certains messages passent mieux ? Vous le ressentez quand vous faites vos stand-ups ?
  • Vous avez envie de surprendre ?
  • C’était même pas voulu à la base ? Mais c’est grâce à l’humour que vous surprenez et que vous arrivez à faire passer des messages que vous voulez faire passer ?
  • Vous vouliez surprendre aussi avec votre couverture, cette mise en scène, c’était le but ?